Discours de Stéphane Krasniewski, président du SMA, à l’occasion de la soirée de lancement des 20 ans du syndicat

Le 11 février 2025

Madame la ministre de la Culture, chère Roselyne Bachelot,
Mesdames et messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président du CNM,
Mes chers et illustres prédécesseurs à la présidence du SMA, Pascal, Yves et Laurent,
Chers élus et chers adhérents du SMA,
Chers partenaires,

Nous sommes réunis ici ce soir pour célébrer le vingtième anniversaire d’une aventure collective. 20 ans de batailles, de victoires, de défaites aussi, mais surtout 20 ans de rencontres, d’échanges et de progrès. Je vais tenter, en quelques minutes, de retracer cette histoire, en suivant trois fils qui continuent de tisser l’action du SMA : la représentation, l’accompagnement et la prospective.

2005, c’est peu ou prou dix ans après la création du label « scènes de musiques actuelles », et c’est déjà l’arrivée des SMAC de « troisième génération » sous l’impulsion d’acteurs militants qui peuvent désormais compter sur le soutien des villes et des agglomérations, comme la Cartonnerie à Reims, l’Autre Canal à Nancy ou la Carène à Brest.

Ce développement rapide s’accompagne de mutations des métiers et des usages, et d’un besoin d’être représentés dans les instances de décision ou de négociation telles que le CNV, l’Afdas ou encore les conventions collectives.

Les salles de concerts membres de la Fédurok et de la Fédération des scènes de jazz décident donc de créer leur syndicat, ce sera le SMA : le syndicat de la filière des musiques actuelles, avec l’idée que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts individuels, pour paraphraser un ancien président du CNM. Ce regard visionnaire et généreux, nous le devons notamment à Philippe Berthelot, alors directeur de la Fédurok, à qui nous pouvons rendre un hommage appuyé. Il ne peut être avec nous ce soir, mais sans lui, il est fort probable que nous ne serions pas ici ensemble.

De 2005 à 2009, sous la présidence de Michel Audureau, directeur de la SMAC le Petit Faucheux à Tours, la jeune organisation passe de 25 adhérents, essentiellement des salles, à une petite centaine. Durant ces quatre années, grâce au renfort d’Olivier Galan, directeur de la SMAC File 7, qui le détache à mi-temps, le syndicat s’invite à la table des négociations des conventions collectives CCNEAC et CCNSVP, intègre les discussions au CNV, structure son soutien aux adhérents, et s’affranchit peu à peu de la tutelle bienveillante de la Fédurock.

Deux ans plus tard, en 2009, grâce à cette dynamique, le syndicat des petites et très petites structures non lucratives des musiques actuelles, pour reprendre l’exacte dénomination d’alors, peut créer un poste salarié à temps plein. Aurélie Hannedouche est recrutée en tant que coordinatrice en même temps que Pascal Chevereau, administrateur de la Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand, prend la présidence. Jusqu’en 2014, ils œuvrent, avec un succès certain, à la création d’un véritable syndicat de filière rassemblant festivals, structures de formation, labels, producteurs de spectacles, radios, réseaux régionaux. Une permanence juridique est créée et confiée aux bons soins d’Eliane Brunet qui prodigue généreusement ses conseils affûtés.

Cet élargissement à l’ensemble de la filière et la mise en place de nouvelles règles de représentativité, vont nous amener, dès 2015, à franchir une troisième étape dans notre développement, en nous permettant de négocier dans trois branches : les deux conventions collectives du spectacle et celle de l’édition phonographique. Sous la gouvernance d’Yves Bommenel, co-directeur d’Illusion & Macadam et président depuis 2014, l’équipe va se renforcer, avec l’arrivée de Marion Robinet en 2015 à l’administration et à la communication, et d’Hélène Tauriac en 2017 en tant que juriste. Ce poste est occupé depuis la semaine dernière par Amélie Pitor : bienvenue Amélie ! En 2019, nous sommes plus de 300 adhérents, et pour faire face à cette croissance, l’équipe accueille Maxime Molé en tant que chargé d’administration, poste occupé aujourd’hui par Amelia Russo.

Paradoxalement, les années qui suivent, marquées par la crise sanitaire, vont renforcer le syndicat. Besoin de solidarité, de collectif, de sens, l’équipe met en place le désormais fameux PIQ – Point d’info quotidien – partagé largement, les instances se réunissent toutes les semaines, les demandes d’adhésion affluent, et nous devenons des acteurs à part entière de la relance. C’est dans ce contexte, en 2020, que Laurent Decès, alors directeur de Petit Bain, prend la suite d’Yves à la Présidence (encore bravo à lui d’avoir su maintenir le cap dans cette tempête) et que Laëtitia Coquelin reprend la direction du service juridique d’une main de maître.

Je voudrais avoir ici un mot pour notre vice-présidente Françoise Dupas, partie en 2021, directrice de la SMAC le Petit Faucheux. Elle aura été présente au SMA jusqu’au bout, aussi je souhaite que nous lui rendions ce soir un hommage marqué pour sa détermination, son implication et la justesse de ses analyses : merci Françoise !

A la sortie du Covid, nous comptons près de 600 adhérents, dont 80 siègent dans les commissions d’un CNM tout juste créé. Pour accompagner notre volonté de mieux faire entendre la voix des structures de musiques actuelles sur les sujets sociétaux, nous créons en 2022 le poste de chargée des affaires publiques, d’abord confié à Célie Caraty et repris il y a quelques mois par Lison Renard.

La force de ce syndicat est triple : les valeurs que nous partageons, l’implication de ses membres, et la qualité et la motivation de son équipe. C’est grâce à cette alliance que nous pouvons accompagner les membres dans leurs besoins spécifiques (les formations, le conseil juridique), mais également dans l’adaptation à un contexte mouvant et contraignant, et je voudrais revenir sur quatre projets collectifs qui ont été menés ces dernières années :

  • D’abord la campagne Vous n’êtes pas là par hasard. Lancée en 2022, son objectif était de conscientiser élus, artistes et publics aux problématiques des festivals indépendants (modèle économique en tension, concurrence d’acteurs exogènes à la filière, concentration) autant qu’à leurs engagements et leurs valeurs. Cela fait écho à la création de la SCIC Socoop à laquelle le SMA a contribué en 2016 avec 7 salles de concerts, la Fedelima et le RIF pour imaginer un outil de billetterie indépendant appelé So Ticket. Les salles de concerts et les festivals bénéficient ainsi d’un système de billetterie dont ils maîtrisent et les datas de leurs publics et les flux financiers. Aujourd’hui, So Ticket est utilisée par plus d’une centaine d’utilisateurs et poursuit son déploiement pour être LA billetterie développée par et pour les musiques actuelles.

  • Je voudrais aussi revenir sur le projet Déclic – décarbonons le live collectivement, lancé en 2023 avec la Fedelima dans le cadre d’Alternatives vertes grâce au soutien de nos nombreux partenaires. Son objectif est de mesurer l’impact carbone de la filière des musiques actuelles et surtout de le réduire. Il nous a semblé essentiel, sous la forte impulsion des adhérents, de proposer notre propre trajectoire bas carbone, de manière concertée et responsable, plutôt que de se la voir imposée tôt ou tard. Après une présentation des bilans carbone réalisés par l’agence Ekodev en avril dernier, nous travaillons à un manifeste et à une boîte à outils pour équiper concrètement les entreprises de la filière. Ce projet illustre concrètement notre volonté de prendre une part active à la transition écologique.

  • Nous avons également initié un partenariat avec La Petite à titre expérimental pour accompagner les structures adhérentes dans le traitement des cas de VHSS qui peuvent avoir lieu au sein des structures, en complément de la cellule d’écoute pour les victimes opérée par Audiens. Nous espérons pouvoir installer cet accompagnement de manière pérenne et nous positionner ainsi en complémentarité de beaucoup d’autres initiatives vertueuses telles que les programmes Wah ! de la Fedelima ou Mewem de la Felin sur les questions d’égalité.

  • Enfin, je souhaite aussi dire quelques mots du Pacte EMMA – pour une action concertée dans le travail et l’emploi : ensemble pour les métiers des musiques actuelles. Ce programme a vu le jour il y a un an dans l’objectif de travailler collectivement à l’amélioration de la qualité de vie et des conditions de travail dans le secteur des musiques actuelles. Notre cadre d’emploi est de plus en plus complexe et nos métiers de moins en moins attractifs, mais nous souhaitons trouver des pistes de réponse. Grace à un soutien de l’ANACT, de nombreux partenaires, l’accompagnement de consultants et la coordination de Cyril Puig, 20 entreprises adhérentes vont travailler pendant 2 ans sur ces sujets. Nous avons bon espoir de trouver des pistes transposables ensuite à l’ensemble de la filière. Cela complète le parcours d’accompagnement à la fonction de direction des lieux de musiques actuelles, lancé en février 2023 en lien avec la Fedelima et opéré par le CNM.

Si le syndicat a été créé pour répondre à une attente, aux besoins des ses membres, il est clair qu’il est aujourd’hui un acteur à part entière de la filière, qu’il accompagne dans l’anticipation de ses mutations. En guise d’illustration, je vais maintenant vous présenter les grandes lignes de la feuille de route que nous nous sommes fixée pour les années à venir.

  • D’abord sur nos enjeux professionnels. Beaucoup reste à faire, le cadre réglementaire se complexifie, se rigidifie jusqu’à représenter un obstacle à la pérennisation de nos activités. La législation sonore doit être retravaillée pour être applicable et conciliable avec notre cadre d’emploi : le travail est amorcé avec les ministères de la Santé, de l’Environnement et de la Culture – espérons qu’il va prochainement aboutir enfin ! Au CNM, nous nous réjouissons d’accueillir un tout nouveaux président, Jean-Baptiste Gourdin, qui nous fait l’honneur d’être avec nous ce soir. Les défis pour le secteur sont immenses, avec au cœur, la question du partage de la valeur : rémunération du streaming, fake streams, modèles économiques des festivals, concentration, avenir des salles de concerts, intelligence artificielle également dont les effets sur notre secteur sont déjà bien réels, pour le meilleur et pour le pire. Je veux d’ailleurs en profiter pour saluer très sincèrement le travail accompli depuis 5 ans par Jean-Philippe Thiellay et Romain Laleix. Notre jeune établissement n’en serait certainement pas là sans leur détermination et leur accompagnement : merci à vous Jean-Philippe et Romain !

  • Les enjeux sociaux sont aussi nombreux, nous en sommes témoins, en tant que négociateurs dans trois branches distinctes ! Nous serons particulièrement vigilants à la préservation du régime de l’intermittence. Nous veillerons aussi à ce que les cadres d’emploi demeurent propices à la prise de risque et au soutien à l’émergence des entreprises indépendantes quels que soient les métiers que nous représentons.

  • Enfin, alors que les atteintes à la liberté d’expression et de création se multiplient, alors que le divertissement apparaît plus désirable que l’action culturelle à certains de nos partenaires publics, nous aurons à cœur de réaffirmer la prééminence des enjeux sociétaux dans nos combats. Nous parlons d’inclusion, de tolérance, de parité, de droits culturels… Les acteurs des musiques actuelles accompagnent au quotidien ces changements sociétaux. C’est dans nos festivals, dans nos salles, dans nos studios que les jeunes acquièrent certains codes du vivre-ensemble, qu’ils s’ouvrent à de nouvelles expériences, et que des publics de tous les horizons s’épanouissent au contact de l’Autre. Toutes les idées, les volontés qui tentent de limiter ces expériences, questionnements et mutations sont un frein à la liberté d’expression et de création telle que définie par la loi, mais surtout une entrave à l’épanouissement individuel qui détermine notre capacité à faire société. Aussi nous continuerons à lutter, à notre échelle, pour que les moyens soient donnés à celles et ceux qui, au quotidien, œuvrent à la construction d’une société plus ouverte. Je parle évidemment de moyens financiers, et la crise des financements publics déclenchée par la décision de la présidente de la Région des Pays de la Loire donne à cet aspect une urgence dramatique. Nous n’en mesurons pas encore les effets mais cette mise à l’écart des politiques publiques de la Culture, mais également des secteurs de la solidarité et du sport, par celle qui est devenue depuis la vice-présidente du parti Horizons, est une remise en question d’un modèle de société fondé sur le dialogue et la co-construction. De nombreuses collectivités se sont engouffrées dans la brèche ouverte pour justifier de leur retrait. Nous continuerons à nous y opposer fermement et publiquement. Mais au-delà des moyens financiers, je veux également parler de ces moyens dont nous devrons nous doter pour écrire un nouveau récit, un récit désirable et opposable à celui, porteur de haine et de repli, qui gagne du terrain chaque jour.

20 ans, c’est court, à peine 4 quinquennats et 11 ministres de la Culture, mais au regard des transformations que la filière a subies et générées, c’est une éternité.

Il y a 20 ans, nous aurions été bien en peine de prédire que Myspace et YouTube posaient les bases d’un nouveau rapport à la musique, que l’IA déposerait chaque jour des milliers de titres sur des plateformes de streaming, que le format du concert en stade se populariserait au point que des rappeurs les remplissent plus vite que je ne remplis la cour de l’Archevêché d’Arles. Nous savions en revanche que nous allions devoir nous adapter, nous réinventer, en permanence. C’est évidemment encore le cas aujourd’hui, et les défis des 20 ans à venir s’annoncent passionnants !